À votre tour

Consulter, un geste de bravoure

Depuis ces dernières années, on assiste à une médiatisation en boucle de différents drames familiaux et sociaux. Une bonne partie de ces événements tragiques sont malheureusement souvent associés à des hommes en état de détresse.

En plus de dominer le taux de suicide au Canada, les hommes québécois ont trois fois plus de risques de commettre un suicide que les femmes québécoises (Institut national de santé publique du Québec, 2010). On réalise qu’ils ne présentent pas un profil homogène. Qu’il s’agisse d’un adolescent en quête d’identité, d’un jeune adulte en perdition, d’un père de famille désemparé ou d’un grand-papa gravement malade, il n’y a pas de lien commun entre la détresse et l’enchaînement violent d’événements menant parfois à la catastrophe.

(Je tiens à préciser que ce n’est en aucun cas un plaidoyer en faveur de criminels qui doivent absolument être jugés, tenus responsables de leurs actes et soignés, le cas échéant.)

Dans ma jeune pratique, je suis quotidiennement exposé à ce désarroi et je rencontre des hommes qui semblent, pour la première fois, croiser avec étonnement une oreille attentive. Il arrive, pour plusieurs raisons, que le bateau dont ils tenaient le gouvernail parte à la dérive au cœur de la tempête, et ça, c’est une mauvaise nouvelle, non seulement pour eux, mais aussi pour le reste de la famille et leur entourage.

Je suis tout aussi sensible à la douleur psychologique des femmes qui me consultent, mais la raison pour laquelle je souligne le côté masculin dans mon texte est qu’il semble y avoir un deux poids, deux mesures, surtout en ce qui a trait aux mentalités et aux ressources communautaires et cliniques. 

Un tabou pèse sur le désespoir masculin. Pourquoi donc ?

Les mentalités ont beaucoup changé à l’endroit des femmes, mais il semble y avoir un retard préoccupant pour les hommes, qui baignent dans un monde de plus en plus vertigineux et sans repères clairs. Il existe encore certains préjugés selon lesquels un homme n’a pas le droit de souffrir et de se plaindre. Ils sont donc plus sujets à refouler leur détresse, à consulter tardivement ou à commettre l’irréparable.

Certes, il y a probablement une question d’orgueil, mais est-ce que les hommes vivent dans un contexte culturel propice à la consultation et, de façon plus importante, ont-ils accès à des ressources convenables après avoir quitté la clinique ?

La situation devrait représenter en elle-même un avertissement pour rehausser la sensibilisation et les ressources des équipes en santé mentale composées notamment de médecins, psychologues, intervenants sociaux et organismes communautaires qui peinent depuis des lustres à entreprendre leurs actions. Dans le contexte d’austérité annoncé et avec des remous majeurs dans notre système de santé, je crains que ces ressources déjà éprouvées soient carrément réduites au minimum. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, qui est en voie de rapatrier plusieurs pouvoirs, ne doit pas oublier les missions complémentaires de son ministère, et ce, autant au bénéfice des hommes, des femmes et des enfants.

Il est d’abord de la responsabilité de l’entourage immédiat de s’occuper des gens fragilisés par la vie. Il faut les soutenir, les influencer et les inspirer à sortir de leur impasse avant qu’ils ne sombrent dans un abysse. Il faut leur donner l’oxygène dont ils ont besoin pour remonter eux-mêmes à la surface. Mais, le plus important est de les diriger rapidement à des professionnels lorsque c’est nécessaire, parce que consulter est un geste significatif de bravoure et c’est ce que j’essaie de leur souligner.

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